Alternative Libérale Etudiants Lorraine

Voici quelques réflexions des adhérants d'ALE à Nancy. Vous y trouverez aussi notre agenda pour nos cafés et diverses réunions publiques. L'intégralité des propos tenus sur ce blog engage uniquement leurs auteurs et en aucun cas Alternative Libérale : c'est la liberté d'expression que nous prônons.

3 mars 2007

Front anticapitaliste

Plus d'une centaine d'intellectuels viennent de publier le 2 mars 2007, dans le Nouvel Observateur, un manifeste de soutien à Ségolène Royal "Avant qu'il ne soit trop tard". Dans celui-ci, on dénonce Nicolas Sarkozy - à maintes reprises - tel un suppôt de Satan, en l'opposant à la Sainte Vierge Royal, apôtre de la démocratie et du parlementarisme républicain.
La dénonciation de Nicolas Sarkozy est triple: il est le messager du pouvoir financier, il est le messager de l'impérialisme américain, il est le messager du césarisme antiparlementaire. En face, on trouve Ségolène Royal, qui est contre "un présidentialisme étouffant" (pour la démocratie), "ne sacrifiant pas les conditions de vie à la modernisation économique", républicaine opposée - sans doute - à l'ordre américain financier...
L'analyse est simple, entre la droite méchante et la gauche gentille; les intellectuels, thuriféraires de la mythologie du Front Populaire antifasciste, et de la gauche anticapitaliste, s'engagent. Car ce qui caractérise cette intervention est sans doute son simplisme biblique, qui place Ségolène Royal dans la droite lignée (si l'on peut dire) des combattants du socialisme, des soldats de la paix et des apôtres de l'antifascisme fondateur de la gauche - du communisme au radical-socialisme.


Nicolas Sarkozy représenterait en fait les ligues d'extrêmes droites (au pluriel, je confirme) manifestant le 6 février 1934 devant la Chambre des Députés, pour lutter contre le parlementarisme et l'instabilité ministérielle, pour renverser Daladier nouvellement nommé Président du Conseil. Ce dernier démissionne, suite à l'émeute qui tourne au drame. Et la gauche voit dans les émeutiers et la démission de Daladier le fantôme du fascisme ! La République est en danger: la CGT, à la tête du cortège antifasciste le 12 février 1934, avec les communistes (antilibéraux), les socialistes de la SFIO, les radicaux-socialistes, manifestent pour la paix et la liberté ! Naturellement, le Front Populaire se présentera en 1936, et gagnera les élections avant de tomber lamentablement suite à la guerre d'Espagne, et de mourir dans l'ultime spasme de Munich.
Ségolène est la descendante héréditaire, naturelle, de cette mythologie, et se retrouve - telle Jeanne d'Arc, telle Léon Blum - catapultée à la tête d'un cortège d'intellectuels militants, de socialistes parlementaires, de Diam's et des autres, prêt à lutter contre des pouvoirs financiers qui - par l'intermédiaire des vilains médias - tuent la (très démocratique) candidature Ségolène.
S'il y a une part de vérité dans les discours de cette gauche sur les intentions de Sarkozy d'être un président fort (à la de Gaulle !), il est évident que la raison est écartée par le sentiment et le fantasme. Pas question de rentrer dans les détails du programme de Ségolène Royal: il me semble cohérent, même s'il s'appuie sur la foi qu'il y aura de la croissance, qu'on espère permettre, à coup de compromis avec les financiers.
L'idée, ici, est de constater ce qui s'apparente à une sorte de "front anticapitaliste". En 1934, on peut s'interroger sur la présence d'une réelle idée fasciste (les historiens de l'école française, tel René Rémond, émettent de sérieux doute...). En 2007, je m'interroge sur la présence de l'impérialisme capitaliste en France, et surtout (s'il existait) s'il est honnêtement comparable au fascisme ou au nazisme... Rockefeller n'a jamais tué personne.
Bref, le manifeste est joli, il fait sourire et rappelle les cours de mythologie poussiéreux donnés par l'école républicaine: la vilaine droite des ligues, la bonne gauche représentée dans le Panthéon (Jaurès, Gambetta, Hugo, Malraux, etc.)...
Derrière ces sarcasmes néanmoins, je placerais aussi de franches réserves.
Que les intellectuels s'engagent pour un candidat (en l'occurrence, une candidate), est-ce un mal ? Il est vrai que l'on trouve parmi eux des anthropologues, des psychologues, des philosophes, etc. On pourrait être cynique et dire que ce sont "des types qui s'occupent de ce qui ne les regardent pas" (selon la célèbre formule facile de Sartre, parlant des intellectuels). Mais il me semble faux de dire que ces intellectuels "s'inféodent" à un candidat, perdant ainsi leur liberté de penser, puisque ce soutien est lui-même un choix, et qu'il est fait librement, en conscience. Il me paraît juste qu'un intellectuel, fade ou brillant, s'engage (y compris dans la neutralité, qui est - quoi qu'on en pense - un engagement à se taire) ! Ils sont des citoyens, et la politique est aussi une affaire d'intellos !
Ce qui est en revanche regrettable, ce serait de conférer à l'intellectuel une "aura" particulière, comme si une élite seule avait un droit de critique à l'égard des programmes. En quoi ces intellectuels sont-ils plus aptes que nous à choisir ? En quoi se sentent-ils le devoir d'accuser Nicolas Sarkozy d'être aux mains du pouvoir financier, d'être un quasi-tyran, alors qu'il n'est rien de moins qu'un républicain gaulliste et conservateur ? Ne voient-ils pas que leur combat rejoint celui de Sarkozy, à savoir le chemin de l'indépendance nationale et de la souveraineté nationale face au pouvoir économique, à savoir la voie vers le social-patriotisme étatique ? Comment prétendre savoir - au-dessus des autres - ce qui est juste et ce qui ne l'est pas ? C'est pourtant là une caractéristique intemporelle de la gauche: sa certitude qu'elle a toujours "le beau rôle", et qu'elle défend des idées justes, que les idées des autres sont nécessairement mauvaises. En tout cas, on ne peut accuser la gauche d'être de mauvaise volonté. Elle cherche à conquérir la bravitude, à soutenir des nobles causes, même si ces causes sont parfois simples et faciles à défendre.
Il y a beaucoup de choses à voir, aussi, dans ce manifeste. Il arrive à point nommé pour Ségolène. A l'heure où blanchissent les sondages, il est commode d'appeler la sainte gauche républicaine. Il est facile de convoquer à la grande messe les intellectuels, que l'on agitent comme des hochets sous le nez de l'opinion, dont le cœur balance entre le candidat gaulliste, la candidate socialiste, et le candidat hybride.

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